Note à la mangue

Vendredi j’ai regardé cette photo. Et puis d’autres. Et puis a rejailli un temps jadis. Alors, à fleur de peau, j’envasai deux ou trois brins de mélancolie. Ce n’est pas mon habitude ça. De faire rouler la boule au ventre. De me retourner pris à la gorge. L’image n’a pas bougé. Ou à peine. C’est peut-être à cause de ça que cela cogne aux tempes. A part au milieu de la cour. La verdure et les tables de ping-pong en béton. Tout est à l’identique. Voyez le ciel bas. Cette absence d’irisation. Marque subtile du passage de l’harmattan ? Peut-être. Je me suis extirpé de mon desk. Tout d’un coup. Aidé par ma mémoire filandreuse.

Du passé décomposé. Du passé en miettes. Je n’ai cure. Je meurs finalement par petits bouts. Comme tous les Autres. De toute façon. De la vie là-bas, je n’ai rien gardé. Pas de jeux. Pas d’amour. Pas d’identité. A peine l’écho d’une adolescence sourde. Une vie évidée. Ma vie peureuse. Tout compte fait.

Un monde. Malgré moi. Qui refait surface. En pleine saison des pluies là-bas. Alors qu’ici c’est la rentrée solaire.

lycée dominique savio douala cameroun

Photo : Lycée Dominique Savio, Douala, Cameroun

Riche ou pauvre, puissant ou faible, tout citoyen oisif est un fripon. [Jean-Jacques Rousseau]

Tu n’as pas d’amis. Tu as le charisme d’un moule à gaufres. Tu ne sais pas quoi foutre de tes vacances. Ta vie est d’un vide sidéral et sidérant. Tu veux en finir avec ton existence parasitaire. Te pendre sous la lune. Mais sais-tu que tu es encore jeune? Que ton corps beau de loin est toujours plein de sève ? Que tu as les manches de tes vêtements sans goût qui débordent de muscles flasques ? Alors avant de partir, de débarrasser la planète de tes absences, de souffler à jamais sur l’ombre de ton ombre, va donc fouiller le ventre à l’air du canal. Rends toi utile. Deviens le héros très discret de ton ordinaire sans lumière. Arpente le chemin de halage sous ce soleil plein d’aplomb. Donne des couleurs à ce corps malingre de punaise suicidaire en flirtant dangereusement avec les orties. Et glisse doucement jusqu’au lit vide et sec de ce bassin. Tu n’y trouveras pas les draps froissés et salis par de menus mais répétitifs travaux manuels que tu connais trop bien. Mais juste de la vase craquelée par trop de morsures d’Horus. S’il reste un peu de vivacité à tes yeux ravagés par les drames lacrymaux, tu constateras que la gangue essorée est hérissée de bouteilles, constellée de déchets ignobles jetés par tes contemporains douteux. Alors là tu retrouveras un peu d’espoir et d’énergie salvatrice. Tu retireras une à une ces raclures. Tu agiras avec frénésie, presque heureux de l’agilité retrouvée de tes dix doigts morts, presque soulagé par cette nouvelle respiration…