Je relis Christian Bobin, mais en pointillés. Son Éloignement du monde est un petit livre que j’avais acquis avant l’arrivée de l’euro. Pages vingt-huit et vingt-neuf : Je ne sais rien d’équivalent en gloire à ton visage lorsque tu ris, mon amour. Mon cœur se serre.
J’ai écouté un vieux live de Ride cet après-midi. Les années quatre-vingt-dix ont façonné mon goût pour la musique pas comme les autres. Elles furent aussi celles qui me révélèrent que je pouvais être aimé. Comme n’importe qui d’autre.
J’ai pensé aussi aux cinq dernières années que je viens de vivre. J’ai tamisé mes souvenirs. J’ai recueilli les plus beaux les plus purs les plus intenses comme on attrape l’eau d’un ruisseau au creux de ses mains.
Pas de musique aujourd’hui, sauf cette superbe chanson baume au cœur mais qui me fait à l’instant le même effet qu’un pansement sur une jambe de bois. Ces jours trop longs me foutent l’humeur dans les talons. Il est temps que j’abandonne ce journal.
Il vente beaucoup ce dimanche. Deuxième tour des élections départementales, les cantonales de jadis. Le bureau de vote est à moins de six milles pas de mon domicile. Dans une école primaire. Avant d’y entrer, je catalogue les gens qui en sortent. Sur la longue table, deux bulletins : l’un désignant la majorité actuelle soutenue par quelques Verts, l’autre est bleu marine. La proposition est inédite. Je n’ai évidemment aucune hésitation. Je me glisse vers l’urne sans m’attarder, les deux assesseures ont des têtes de moutons enragés.
Le bureau de vote est bien trop près, la promenade est courte. Mais je n’ai pas le cœur à fouler la levée de La Loire. Au loin des cris émanant d’un stade, au bord d’un trottoir les aboiements d’une jolie et robuste chienne noire à laquelle on intime l’ordre de grimper à l’arrière d’une voiture. La large esplanade et le théâtre de verdure ont des allures de terrain vague, les enfants sont à l’abri, dehors il vente et pleut. Je suis rentré très vite, sursautant presque en voyant mon reflet dans une porte vitrée. Je me dis qu’ici le résultat sera en faveur des progressistes.
On devrait équiper les gens seuls chez eux de DATI. J’y pensais sur le chemin du retour. Quand tu es flippé et seul, tu penses à des choses comme ça. Que se passera-t-il si je m’effondre d’un coup sur le linoleum du salon ? Pourrai-je attraper mon téléphone et faire un numéro d’urgence ? Aurai-je l’air d’un con si je fais le 911 au lieu du 18, tout ça parce que je me gave de séries US ? Au bout de combien de jours retrouvera-t-on ma carcasse affalée comme une peau de vache sur le revêtement bas de gamme de mon dying room ? Un DATI pourrait limiter les dégâts.
Je suis rentré, ai bu un café, écouté des chansons de Bill Fay, puis des chansons de Dominique A, ai pensé en écoutant L’Océan que ça faisait un bail que je ne m’étais pas moucher dans les embruns, ai bu un autre café, ai envisagé que plus aucune fille ne m’embrasse, ni ne me baise, ai ressassé les mensonges racontés par mes derniers rêves, ai maudit ce satané rhume.
Le bureau de vote est fermé maintenant. Dehors il vente et pleut. Je vais commander ce DATI et prier Odin ou un marabout de ficelle ou je ne sais quelle mouche qui pète, on ne sait jamais, en psalmodiant avec précision on peut décrocher la lune ou Hypérion.
Là-haut : Doctor Blind* d’Emily Haines, extrait de Knives Don’t Have Your Back, un album sorti en 2006.