Mords or laisse

Personne imbécile et maladroite. Je lis la définition pendant que chante Konstantin Gropper. Niquedouille je suis maintenant. J’aime bien le mot, je n’aime pas du tout ce qu’il laisse entendre. On me dira encore que l’on ne récolte que ce qu’on sème. J’ai déposé une facture dans la boite aux lettres, cette séquence de la vie normale du type qui bosse chez lui fut la seule qui me mena à l’extérieur de mon home depuis samedi. J’ai aimé, comme à chaque fois, humer l’air de la nuit, le déplacement fut bref, un quart d’heure à tout casser, mais cet aller-retour eut le temps de me remplir la trachée d’un caillot de tristesse. Il faisait anormalement doux pour un dix janvier, je me suis dit que même l’hiver était absent. Je n’ai pas trainé, alors que ça fait des jours que je veux aller entendre rouler le fleuve, son lit d’orage m’attire tout autant que les larmes crépitantes d’un brasero.

Maintenant je n’arrive pas à quitter la pièce. Je me balance sur ma chaise, la main gauche tenant fermement un coin de la table.

mon crâne est un maelström

Cela doit être terrible de mourir seul au milieu de son living. C’est une de mes obsessions actuelles. Clapoter comme ça, sans que personne ne s’en rende compte immédiatement. Imaginons que je m’effondre ce mercredi. C’est un jour assez blanc dans ma semaine. Je veux dire un de ceux où il m’arrive de n’entendre aucune voix familière. Si je ne donnais pas signe de vie dans la vingt-quatre heures, un sms arriverait peut-être sur le mobile me demandant si je fais le mort. Je le ferais tellement bien à ce moment-là. J’écris ça en pinçant l’une des veines de mon bras droit. C’est un geste nerveux que je peux effectuer pendant de longues minutes. La vie quand même, elle peut vous offrir une raison d’être, puis vous laisser mourir seul au milieu d’un living, la tête sur la cisaille d’un vieux tapis. Mon crâne est un maelström à l’instant. J’avais pourtant débuté ce texte en parlant des abandons, une autre obsession. J’espère d’ailleurs qu’après celui-ci je ne lirai plus que je suis un écrivain, même si c’est un doux mensonge* qui peut aider à faire passer la ciguë que j’avale quotidiennement. Je ne les compte plus les abandons. Comme j’ai renoncé à comprendre les raisons qui font que l’on quitte des existences. Un matin, alors que le ciel est sans menace, on tire un de ces liens et c’est une ficelle molle qu’il vous reste entre les ventricules. Elles sont sans doute là les petites morts et pas dans les jouissances aigües puisées au creux des reins. Je me demande ce qu’en penserait le vieil ami qui n’arrive plus à revenir. S’il n’y avait que lui. Je regarderais bien le fleuve maintenant, en buvant un verre pour refroidir l’occiput. Il me faudra traverser le living pour ça, je m’y risquerai en récitant cette phrase entendue dans une fiction : you’re the light of the end of my tunnel.

*je fais mon malin, mais je suis très flatté de ce que Monsieur a écrit au sujet du métier sur son blog.

au-delà de notre enclave

Il fait nuit tôt. J’ai peu vécu ajouré. Soumis à la paresse, comme un dimanche sans allégeance. Suis en mode automatique. J’écris comme ça sort : tortueux, infatué. Je tousse encore. Chaque quinte me tord les côtes. Je trainais cette névralgie bien avant la bascule. An onze. On ose. Un plus un. Qui ferait deux dans un monde sans jcvd. Jour deux d’un nouvel an sans élan nouveau. C’est probable. Surtout pour un vieux serf de ma trempe. Une vie d’orignal est rarement originale. Que me souhaiterais-je ? De vivre herbivore dans la grande ville et frotter plus souvent mes bois à ses hanches. Écrire pour de vrai aussi, en reliant toutes les pages, feindre l’écrivain, faire d’un récit fluet un affluent qui se la coulerait douce jusqu’au fleuve noir. Et l’aimer sans entraves, putain de bordel de merde, l’aimer debout, au-delà de notre enclave.