J’ai mimé le pélican

Temps suspendu sur un ciel ébréché, gris, saumâtre, avec son salmigondis de circonstance. Ai repensé hier à ce moment passé en compagnie de Jean-Bernard Pouy. Auteur lettré, aux interventions littéraires bigarrées qui latterait n’importe quel exercice de style. C’était en 1998. Une interview pour un fanzine. En 2012 qui se souvient du terme fanzine ? Nous étions un dimanche matin, installés sur les marches en bois sous une structure du même tissu. Je devrais me laisser parcourir à nouveau par la littérature noire et ne pas oublier ceci : le droit de vivre ne se mendie pas, il se prend.*

Je glisse l’enveloppe dans la boite aux lettres du bailleur. Deux fois, dont une de trop, que je me bouge pour cette affaire de murs qui suintent. Le couvreur, homme qui parle aisément de toit, a glissé du silicone dans les brèches pour parer aux prochains assauts des tempêtes. Il est mieux là qu’à l’intérieur des poitrines. J’imagine alors les poches de gel toxique éclatant au / sur le cœur de certaines femmes. Je me demande également ce que fout là cette pizzéria que personne ne peut voir de la route. J’ai un bon tonus, 8 sur une échelle de 1 à 10. Je longe la médiathèque, nous revois, l’écrivain et moi, sous la charpente.

Me manquent alors les marques simples de l’amour.

Je suis tombé sur ma gueule devant une glace. J’ai mimé le pélican. Goitre bedaine poils peaux mortes. Laissez les mangoustes tranquille et demandez-moi pour les poils de vos pinceaux. Vous verrez, ils sont parfaits pour réaliser de merveilleux glacis à la peinture à l’huile.

Sur des photos anciennes que je ne possède pas on ne voyait que ça, ces deux dents de devant qui sont le seul point commun que j’avais avec Bruno Cremer.

Dans une heure j’ouvre une bouteille. Pour le moment je lis et j’écoute.

Où il est Hégueule, asshole ? demanda ex abrupto l’ange de l’Enfer.*

Instrument. Fugazi. 1999.

* Slogan de mai 68.
** Jean-Bernard Pouy, à sec ! (Spinoza encule Hegel le retour).

 

J’ai eu dix ans et je ne m’en souviens plus

Prominent Front Teeth par kbreitJ’essaie de me souvenir de l’enfant que j’étais. Je n’y arrive pas. J’envie ceux qui ont tout gardé de leur cinq ans. Ou de leur dix ans. Je ne me souviens même pas avoir eu douze ans. Je devais porter de grosses lunettes. Je crois que je ressemblais à un lapin. Ça oui, je m’en souviens. A cause de mes deux incisives en haut qui débordent un peu. C’est mon côté Bruno Cremer. J’ai toujours aimé Bruno Cremer et pas seulement à cause du rai de lumière qu’il laisse filtrer sur le cul de Vanessa Paradis dans Noces Blanches. Je me souviens de la scène de ce film, mais pas de celui que j’étais à huit ans. Bruno Cremer est mort cette année, Captain Beefheart hier. Il n’y a rien qui dure toujours chantait Jonasz. C’est tout moi ça : convoquer des morts au milieu de mon rata. Jonasz n’est pas mort, je sais, mais il n’y a vraiment rien qui dure toujours. Ce qu’il m’aurait fallu c’est la carrure de Bruno Cremer. Mais je n’ai que les deux dent du haut qui débordent. Un reste de l’enfant mal fabriqué que je fus. Je ne dirai rien de ce trou au milieu de la poitrine qui m’a mené à la piscine et fait de moi le bon nageur que je reste encore. Je ne connais pas d’acteur fabriqué ainsi. Bruno, avec ses deux incisives, il avait rendu folle Mathilde qui en mourut. J’ai eu dix ans et je ne m’en souviens plus.

photo : Prominent Front Teeth par kbreit