J’essaie de me souvenir de l’enfant que j’étais. Je n’y arrive pas. J’envie ceux qui ont tout gardé de leur cinq ans. Ou de leur dix ans. Je ne me souviens même pas avoir eu douze ans. Je devais porter de grosses lunettes. Je crois que je ressemblais à un lapin. Ça oui, je m’en souviens. A cause de mes deux incisives en haut qui débordent un peu. C’est mon côté Bruno Cremer. J’ai toujours aimé Bruno Cremer et pas seulement à cause du rai de lumière qu’il laisse filtrer sur le cul de Vanessa Paradis dans Noces Blanches. Je me souviens de la scène de ce film, mais pas de celui que j’étais à huit ans. Bruno Cremer est mort cette année, Captain Beefheart hier. Il n’y a rien qui dure toujours chantait Jonasz. C’est tout moi ça : convoquer des morts au milieu de mon rata. Jonasz n’est pas mort, je sais, mais il n’y a vraiment rien qui dure toujours. Ce qu’il m’aurait fallu c’est la carrure de Bruno Cremer. Mais je n’ai que les deux dent du haut qui débordent. Un reste de l’enfant mal fabriqué que je fus. Je ne dirai rien de ce trou au milieu de la poitrine qui m’a mené à la piscine et fait de moi le bon nageur que je reste encore. Je ne connais pas d’acteur fabriqué ainsi. Bruno, avec ses deux incisives, il avait rendu folle Mathilde qui en mourut. J’ai eu dix ans et je ne m’en souviens plus.
photo : Prominent Front Teeth par kbreit