Il faudrait que je dise pour de vrai à quel point elle me fait défaut. On ne se fréquente que trop peu, alors que l’on sait tout des vies trop courtes. Même bien avisés, on n’hésite pas à se manquer. Il y a pourtant des weekends où nous vivons totalement nus, déloqués des pixels, libérés de la wifi et des distances. Souvent tout redémarre la nuit, c’est elle qui vient, elle me dit je pars de la maison, alors je regarde la pendule. Deux heures trente, sans doute trois, la route est pénible parfois. Elle aime conduire, moi pas. Elle roulera avec prudence, je le sais, je fus son passager, c’était il y a longtemps, je me souviens ne pas avoir eu peur, ce qui m’arrive rarement. Deux heures trente ou trois heures de temps à tuer, souvent je remets de l’ordre dans l’appartement, prends une douche, change les draps et fais les cents pas. Quand elle arrive je le sais cinq minutes avant, elle me prévient, je suis toujours près à descendre de toute façon. Une paire de baskets et une veste plus tard me voilà dans la boucle. Comme il est tard je ne croise pas de bipèdes, quelques fois un chat file sous l’un des nombreux véhicules stationnés aux abords des résidences. Cinq minutes depuis le dernier texto, d’abord je vois les feux d’une voiture cognant le premier bâtiment, c’est sans doute elle, mais je n’en serai sûr que lorsqu’elle sera à ma hauteur. Je vois qu’elle est sérieuse derrière son volant. Souvent je lui souris, souvent elle me sourit. Elle débloque la portière avant droite et je m’installe à côté d’elle. L’habitacle résonne encore de la soul qui l’a accompagnée tout au long du parcours. Parfois elle agite fébrilement le levier de vitesse avant de me demander si ça va ou de me dire on y va ? Je crois bien que c’est moi qui donne le premier baiser. Mais c’est elle qui décide de sa profondeur. Après, plus tard, demain, nous n’entendrons plus que le froissement de nos peaux, les colères et les frustrations cavalant en sourdine.
Je pense à elle tout de suite. Terriblement. Et A nos vies trop courtes