Les herbes folles

La poursuite s’achève dans de longues herbes grasses dans lesquelles je m’enfonce. Le type qui en veut à ma peau a l’air aussi mauvais qu’un sbire en imper de la Geheime Staatspolizei. Je courre souvent dans mes rêves pour échapper aux collectionneurs de trépas. J’aimerais bien savoir qui envoie cette horde de tueurs dingues à mes trousses. Qui programme dans mon inconscient subclaquant cette course perpétuelle contre une charogne à l’humeur de fin du monde. Mais c’est au bord du péril, Macha, que je me surprends à avoir des gestes de supers héros. Des mouvement qui me permettent de grimper aux arbres à la vitesse d’une gargouille au galop ou de sauter d’un immeuble à un autre aussi facilement qu’on efface une flaque d’eau d’une impulsion de talon. Mais j’ai beau faire des bonds de géant, le vilain flippant finit toujours par réapparaître… Sauf que cette nuit il y avait ce champ de belles herbes folles qui léchèrent avec bienveillance mon corps liquéfié par la peur…

bande son…

Wake in the morning feelin’ low

Une rue avec des chats, une critique de cinéma qui cherche à entrer dans une boutique de décoration, des papiers volants et un type qui semble être moi. C’est la composition approximative de la dernière image de mon dernier rêve. Entre six heures et neuf heures du matin. Mais ce n’est pas comme dans les films américains quand le dernier plan du film est réalisé avec une une caméra au bout d’une grue. Quand l’appareil s’élève, le spectateur sait qu’il est arrivé au bout. Qu’il va pouvoir se lever et passer à autre chose. Je ne me suis pas levé tout de suite. J’ai essayé de reconstituer le puzzle de mon cinéma mental. A la fin de la remise des prix, il n’y avait plus que moi et une dizaine de lauréats. Je montais sur l’estrade sous les applaudissements. On attendait que mon apparition soit ponctuée d’un exercice de style : un bon mot, un tour de magie avec un jeu de cartes. Des autobus aussi. Il y avait des autobus. Dans la rue. Pas sur l’estrade. Dans ce rêve j’étais à deux doigts de tout. A deux doigts d’aller parler à cette critique de cinéma. Dans la vie hors rêve cette femme a respiré à quelques mètres de moi. Je ne l’ai pas approchée non plus. Je travaillais. Elle venait faire son travail. Je ne suis pas comme ça. A déclarer j’aime beaucoup ce que vous faites. Viendrait-elle me dire j’aime beaucoup ce que vous regardez ? Elle parle du cinéma à la télé. Je regarde la télé. Le puzzle. L’étudiant le mieux placé avait reçu des cadeaux. Des gros paquets trop grands pour ses bras. Il en a échappé un. Il y avait cette fille. Je lui ai dit qu’elle était belle. Il y avait du monde autour. C’était du cinéma de sommeil. La preuve. Dans un beau sourire, elle m’a dit aussi que j’étais beau. Puis la rue s’est vidée. Allongé sur le dos j’ai repris ces pièces légères pour les assembler. Je me suis demandé aussi pourquoi j’avais croisé ce garçon infatué. Pourquoi les autres, plus aimables, n’étaient pas présents. J’ai laissé tombé le puzzle. Filé sa ration de pâtée au félidé. Et pris mon pouls.

[bande sonore : She died in june de Tang]