cockcinelle ou bite à bon dieu

La paix de l’esprit ce n’est pas pour tout de suite. Mais cette journée a débuté avec plus de légèreté que la précédente. Je ne sais pas à quoi ça tient. Sans doute aux oscillations de l’âme. Phase maniaque aujourd’hui, phase dépressive hier. Filer un mauvais coton la veille, filer le parfait humour le lendemain. Je suis comme toujours au même endroit, le fondement posé une chaise, dans les quelques mètres carrés d’une cuisine. Si aujourd’hui nous étions hier, j’aurais pu écrire ceci : Je me suis réveillé à cinq heure trente, soit moins de trois heures après m’être couché. Au milieu du lit dans un bercement. Je croyais avoir enfoui à jamais ce truc de l’enfance, le voilà qui remonte à la surface presque quinze plus tard. Je me suis levé très sombre, je suis allé pisser, puis j’ai bu de l’eau plate à la bouteille, avant de me recoucher. Je me suis endormi sans effort. Mon sommeil fut, comme souvent, plein de rêves tordus faits de territoires inaccessibles et de fuites impossibles. France Info m’en extirpa à dix heures quarante cinq, heure du réveil. J’ai tiré l’ordinateur portable jusqu’à moi, l’ai allumé, ai fait le tri dans la quinzaine de mails non lus, puis me suis levé. J’ai enfilé un t-shirt avant d’aller pisser, j’avais la gueule aussi grise qu’une barre de HLM. Je répondis à un premier message professionnel, je me sentais déjà au bord d’un sanglot qu’une envie de chier réprima. Cinq ou dix minutes plus tard le téléphone sonna. C’était A. Il arrivait bien trop tôt, mon irritabilité failli mettre à mal notre collaboration. Je repris mes esprits, la conversation devint constructive et s’acheva calmement. Une fois reposé le combiné, je me mis à travailler. Je pris un petit déjeuner autour de treize heures en lançant une série et le téléchargement d’un disque. Seattle sous la pluie me fit envie. Moody ne me lâchait pas la grappe, pourquoi diable ces rythmies revenaient-elles ? Blablabla. Mais c’est une journée à faire glisser des cerfs-volants sur la toile cirée azuréenne. Je profite de cette accalmie, je sais très bien qu’à l’heure où les grands fauves iront boire, le faraud qui me squatte à cet instant se cassera la gueule dans un silence de cathédrale.

Ouais, le titre de ce billet n’a aucun rapport avec son contenu.

se saigner les gencives

Pg.lost, c’est totalement mystérieux et pas tenable en soi un nom pareil. Je ne vais pas chercher à en savoir plus sur ce groupe. Je l’écoute, point barre. J’ai des envies de baise. Alors je me gave de sucre, du plus mauvais, celui contenu dans cette boisson américaine que je n’ai pas envie de nommer. Je suis de plus en plus remonté quand j’écris. J’ai cette vision du chien qui est en moi, ce chien perdu dans une rue de rien, avec ce bout de laisse qui traine par terre. Je ne sais plus quand je me suis retrouvé là, au beau milieu des poubelles, nu comme au premier jour. Depuis quand ne t’a-t-on pas torché le cul, Moody ? Depuis quand n’es-tu plus ce fils, bon et pleutre, petit bâtard ?  Il ne fait pas de doute que ce vieux garçu ne gît plus dans aucun cœur. Je ne sais pas ce que je donnerais pour me saigner les gencives sur une peau crémeuse. Je me traine pourtant à quatre pattes comme le dernier enfant de ce terrain vague. Comme la dernière rumeur d’un monde abandonné.

le disque de Pg.lost qui servit de point de départ à ce texte est à entendre dans cet espace.

Moody

D’abord.

J’ai ramené ici les trois courts textes écrits signés Moody Walter et livrés sur un autre blog au cours de l’été 2008. L’idée ou le concept, comme on voudra, était simplement d’écrire un texte autobiographique court d’un seul élan, un geste effectué en un quart d’heure, et de le publier tel quel. J’aimais bien l’exercice, mais comme à mon habitude, je l’ai vite abandonné. Sans doute parce que je trouvais ça particulièrement mauvais.

Moody est aussi un personnage suicidé de Beretta 67 (titre non définitif), mon embryon de roman noir démarré la même année. Que j’ai lâchement livré à la jusquiame blanche lui aussi. Je commence toujours quelque chose, puis…

Je regarde T. Il est installé près de moi. C’est la première fois qu’il me rejoint et qu’il reste  là depuis que je l’ai récupéré. C’était lundi en fin de matinée. Il est posé sur une serviette de bain que j’ai mise en place sur le lit. Cette nuit sa présence me réconforte. Je lui parle. Je le lui dis, il ne se rend pas compte – puisqu’il est chat – que les mots passent vers lui avec difficulté.  Je me souviens cette nuit comme je taisais ce qui me blessait jusque là. Là c’était il y a deux ans, quelques semaines avant l’arrivée de Moody, après une rupture. Je veux dire qu’avant cette longue histoire d’amour, il n’y avait pas d’émission de ce genre, et ce n’est qu’au fil du temps, du vécu partagé, de ma propre découverte, que je pris conscience que je trainais un paquet douloureux.

T. s’agite d’un coup, puis se lève et entreprend de se lécher frénétiquement. Je suis aussi nerveux que lui, tellement que je me pince avec ardeur la veine céphalique de mon bras droit. Je ne sais plus quand m’est venue cette manie. Je me souviens d’un cousin qui arrachait ses cheveux, il doit y avoir de l’hérédité là-dedans. Tout se mêle cette nuit. Mon adolescence morte née et cet amour fauve qui n’en finit pas de s’arracher lui aussi.

Moody fut un bon fils. Et un adolescent désincarné. Docile et totalement pleutre.

Moody eut une naissance que j’ai décrite très brièvement et en ces termes :

Moody est né en 1967. Autant dire qu’il n’est pas né de la dernière pluie acide. Il se souvient, bien avant Forever Changes, des cocktails de liquide amniotique. Des échos du monde à l’intérieur du ventre dur et chaud. De son désir, sans doute, de ne pas en être. Qui aurait voulu en naître ? Moody entama donc sa vie en plein après-midi. Des alarmes plein la tête… Il n’imaginait pas tous ces outrages.

Moody est donc venu immonde un jour moiré de 1967. Un bras en blouse blanche lui pinça le cul anthracite. En guise de cri primal, Moody fut pris d’un fou rire. Il senti alors glisser dans la nervure souriante de son arrière-train potelé une première larme de sueur froide. Puis on le déposa sur le sein droit d’une mère fatiguée d’effroi.

S’en suivra un récit sans récif.

1967. Moody vécut beaucoup sur le dos. A se marrer des ombres qui courraient au plafond. L’une d’elles se laissa capturer par l’enfançon captivé. C’était la plus petite. La moins véloce. Une proie facile pour l’imaginaire à vif d’un bambin béat. Moody roula des billes. Avant de pousser un hurlement d’épouvante. L’ombre qui était devenue gigantesque s’apprêtait à le dévorer. Moody, bébé éprouvé, ne se remit jamais de cette rencontre. 1967. En plein Summer Of Love, John Coltrane laissa son sax aphone. L’ombre était parvenue à l’engloutir.

Moody eut un mal de chien à laisser passer ses premiers mots. Les syllabes obscures s’empêtraient dans des ratiches qui poussaient mal. Sa mère crut percevoir un maman englué dans un filet de salive. Moody venait en fait de pousser un aide-moi.

T. dort profondément. Je lâche prise pour cette nuit. Je reviendrai accompagné de Moody dans quelques temps.