La fatiguaison plein le corps

De Douala il me reste au moins cette expression, cette façon de dire qu’on est lasse ou qu’on ne plus arquer : j’ai la fatiguaison plein le corps. J’ai aimé cette période Camerounaise. Même si je pense que je ne l’ai pas vécue pleinement. Douala, Bassa plus précisément, quartier dans lequel avaient été construites l’usine où travaillait mon père et la villa dans laquelle vivait sa famille. Il n’y avait qu’une seule maison à l’époque, il y en aura trois quelques années plus tard.

1977. Juin ou juillet, mes souvenirs ne sont plus très précis. A la descente de l’avion, dans les couloirs de l’aérogare, nous étions tout de suite saisis par la moiteur et l’humidité de l’air. Plus tard, j’aimerais beaucoup cette sensation qui indiquait qu’on était enfin de retour chez nous, après deux à trois mois passés dans cette France de râleurs. J’avais alors une vision étroite du pays qui m’avait vu naître. Je comprendrai bien des choses ultérieurement.

Dix années plus tard, je décrocherai – en déjouant tous les pronostics – un baccalauréat qui m’éloignera pour de bon de cette vie au Cameroun. J’étais un jeune adulte peu démonstratif, même si la perspective d’un éloignement me remplissait de tristesse. J’aurais quand même la chance de revenir un mois complet avant mon départ pour le service militaire. Un mois que j’aurais vécu en petit blanc oisif, nostalgique du lycée français près duquel je passais le plus clair de mes après-midi. J’étais pourtant tombé amoureux en vain dans cet endroit, j’avais même été humilié une année durant par une camarade de classe, dont la beauté me glaçait à l’époque. Il n’empêche que les deux dernières années de ma longue scolarité furent très agréables à vivre. En étant là, assis sur un muret, j’essayais de capter encore un peu de leur magie. Je me rendis assez vite compte que la séduction du lieu s’était évaporée dans l’absence de ceux qui en faisaient l’âme.

Je n’étais évidemment pas le seul à être devenu bachelier. Nous étions presque tous rentrés en France pour poursuivre des études. Et ma présence à Douala tout au long du mois de décembre 1989 était une anomalie. Les fêtes de fins d’année me permettront de revoir B., ma première véritable amie. Je n’omets pas la mention petite, à aucun moment je ne l’ai envisagée comme ça. Il me faudra quelques années supplémentaires pour me rendre compte que j’étais fabriqué comme tout le monde.

Douala me revient souvent entre les tempes au changement d’heure, fin mars. J’y serai. Demain.

nostos, algos et le pademelon

Ah le manteau de pluie ! Il pèse lourd sur les épaules du jour, pour le peu que j’en vois, faut dire que je n’émerge pas avant midi et qu’au matin frisquet des départs je préfère le soir ardent des retrouvailles. Rien à voir, mais j’écoute des disques anciens, des choses qui ne composeraient pas ma discothèque idéale, des albums qui accompagnèrent pourtant ma longue solitude adolescente. Je ne me laisse pas entrainer volontiers vers l’arrière. Même s’il suffit d’une drache incessante comme celle de ces dernières heures pour me rappeler des saisons africaines. C’est donc de la nostalgie de pacotille que ces disques nourrissent mollement. Retournons donc astiquer toute cette verroterie…

You start a song and when you sing the sound is gone*

Jour de peu. Je cherche l’inspiration. Dans l’odeur de pluie qui remonte du sol. Dans les mots d’ailleurs. Je voudrais peu. Juste une ligne. Un truc potable qui décoiffe comme un voyage en décapotable. Comme une bise soulevant une jupe fendue. Comme un souffle humide replaçant une mèche rebelle. J’aime cette pluie fine qui me dégourdie la mémoire. Elle me ramène à l’Afrique, aux mangues que pourtant je n’aime pas manger, à l’insouciance sérieuse. Une pluie qui envahit le larynx, avant d’inonder toute la gorge. C’est ça un sanglot long. C’est ça, on se souvient des jours anciens et on chiale. Mais c’est bien puisqu’on pissera moins. Un mal pour un bien, hein ! N’empêche que dix lignes plus loin, l’inspiration n’est toujours pas là. Elle n’est même pas planquée dans le bouquet de poils que vient de m’offrir Mister T. J’aime quand la tête du serval me fendille le menton. Il en reste une fossette.

Sans C., c’est insensé, je n’aurais peut-être jamais entendu 2AM*, morceau génial de Thee More Shallow. Quelqu’un a posé ce titre sur des images de L’enfance d’Ivan de d’Andreï Tarkowski…